Des convoyeurs de vie sous pression

Publié le par amulancier webm

Des convoyeurs de vie sous pression

 

 

Confrontés à la détresse des malades, au stress de la circulation, les ambulanciers assurent un vrai service public.

 

 

Jacques ne parle plus. Les yeux braqués sur la chaussée, les mains crispées sur le volant, l’ambulancier est ailleurs. La sirène résonne sous les tunnels du périphérique, le gyrophare illumine les murs, les voitures s’écartent en urgence pour laisser passer l’ambulance. A l’arrière, Pascal, 22 ans, est immobile. Seules ses paupières esquissent un léger mouvement. Atteint d’une sclérose en plaques en phase terminale, le jeune homme est tétraplégique. Un tuyau sort de sa gorge pour l’aider à respirer. La machinerie médicale égrène ses « bips » réguliers. Il fait chaud. Il ne faut pas traîner. Une panne des appareils et le jeune homme est condamné.
Jacques n’aime pas cette course. Son collègue Christophe non plus. Le patient est trop jeune, trop mal. « À chaque fois que je le vois, ça me travaille. Je sais qu’il n’y a que la mort au bout », glisse Jacques, la quarantaine, salarié depuis quatre ans de la compagnie des ambulances « X». Quatre ans à convoyer les malades jour et nuit au milieu des bouchons, à les écouter, à les rassurer. Quatre années d’un travail stressant, éreintant, sous-payé et peu considéré. « Dernière roue du carrosse » sanitaire, comme ils se jugent eux-mêmes, méprisés par le personnel médical, ces forçats du brancard constituent pourtant un maillon indispensable de la chaîne médicale.

 

 

Un rôle social.

 « Ce n’est pas le médecin qui encaisse, c’est nous », commente Jacques. « Lorsque tu dois emmener un client chaque semaine à la chimio, que tu passes deux heures aller-retour avec lui, c’est à toi qu’il parle de sa maladie, qu’il annonce, par exemple, qu’il a rechuté… » Même Michel Kollembach, médecin au sein de la compagnie, le reconnaît : « Les ambulanciers portent tout le poids psychologique du malade. Le soignant ne passe pas plus d’un quart d’heure avec lui alors qu’eux le côtoient plusieurs heures dans le véhicule ». Même sentiment pour le patron des ambulances « X» : « Le vrai rapport humain est avec l’ambulancier, pas avec le médecin. C’est aussi un facteur de guérison, notamment pour les gens isolés. Ils ont un rôle social très important. Et quand un client régulier décède, ils vont parfois à l’enterrement, car ils font presque partie de sa famille ».
Dans le camion,
Jacques a retrouvé un peu de sa sérénité. L’ambulance s’éloigne de la ville. Le trafic est moins dense. Il coupe la sirène. « C’est vrai que les malades nous parlent beaucoup de leur fatigue, de leur maladie, de la lassitude des transports. Nous, on apprend à les connaître, à repérer leurs petites habitudes. On essaie aussi de parler d’autre chose, de l’actualité, de la vie ».
À ses côtés, Christophe, 25 ans, revient sur ses premiers transports : « Je n’oublierai jamais ce petit bout de chou de deux ans, sans cheveux, atteint d’un cancer généralisé. Il faut savoir prendre de la distance, mais dans la réalité, c’est très difficile ».
Il y a la maladie, mais aussi le milieu social, le cadre de vie. « On entre chez les gens, dans leur appartement, leur intimité. Et là on voit des choses terribles, surtout des personnes âgées qui vivent dans des conditions misérables », insiste
Jacques. La semaine passée, il a enfilé gants et masque de protection. Mais rien à faire, « la puanteur était insoutenable. Dès le rez-de-chaussée, l’odeur se répandait dans l’immeuble ». En pénétrant dans le logement, il découvre un vieillard, végétant au milieu des immondices.

Une grande disponibilité.

 Sortie d’autoroute. L’ambulance entre dans la petite cité en marche arrière. La mère est à la fenêtre. Les portes du camion s’ouvrent. Jacques et Christophe descendent le brancard. L’accès est malaisé. Au bout du couloir, il faut porter Pascal. La mère tourne autour des ambulanciers, leur parle sans cesse. Eux tentent de rester concentrés. L’appartement est envahi par le matériel médical. Dans la chambre d’adolescent, un lit d’hôpital occupe presque toute la pièce. Un poster de Bob Marley est caché derrière la perfusion. Une peluche d’enfant trône sur un meuble. Ils installent Pascal sur le lit. Le garçon ne bouge pas. Le regard vide rivé au plafond. Il faut aspirer sa salive qu’il ne parvient plus à avaler. Les ambulanciers ressortent de la pièce, échangent quelques mots avec la mère qui s’agite. Elle aimerait les retenir, discuter un peu avec eux. Mais ils n’ont pas le temps. Pas aujourd’hui. Il faut repartir. Sur le pas de la porte, la mère se calme et glisse doucement : « ils sont gentils, plein d’humanité ».
Mais les ambulanciers sont déjà dans le véhicule. Christophe a pris le volant. L’ambulance s’enfonce dans le trafic. Il fait chaud. Il est bientôt 18 heures et les deux collègues sont sur la route depuis presque dix heures. Cette fois-ci, plus de sirène permettant de se faufiler dans les bouchons. Le fourgon revient à vide et le « trois tons » est interdit. L’ambulance est un véhicule comme les autres. « Les embouteillages aussi, c’est du stress », estime Christophe, qui rappelle que « l’ambulance est, par définition, toujours en retard ». Un retard qui leur vaut parfois les foudres du patient ou du personnel hospitalier. Ce dernier n’étant jamais en reste pour afficher son mépris à l’endroit des ambulanciers. « Il se fiche de nous, oublie de nous prévenir quand le malade est contagieux et donne l’impression qu’on le dérange lorsque l’on arrive avec un malade », rapporte Jacques. « Ils sont mal traités par les hôpitaux, confirme le docteur Kollembach, rattaché à la compagnie. Sauf quand je suis avec eux, parce que je suis médecin ». Un mépris difficile à vivre pour ces hommes à qui l’on demande parfois d’exécuter des formalités administratives qui incombent normalement à l’hôpital. « Ils en profitent. Ils essayent de nous refiler leur travail. Comme si nous n’en avions pas assez, soupire l’un des ambulanciers. Et à chaque fois, on perd encore du temps ».
Un véhicule vient se glisser devant l’ambulance. Christophe au volant doit piler net. « Un taxi, en plus ! » se récrie Jacques, qui reprend aussitôt : « moi j’aime bien mon métier. J’aime les déplacements et les contacts humains. Je préfère cela plutôt que de rester dans un bureau toute la journée. Même si je dois bosser plus de 200 heures par mois ».
Car l’ambulancier est un professionnel de santé qui ne compte pas ses heures. Placés sous le régime complexe des équivalences, les salariés du secteur travaillent facilement entre 200 et 230 heures mensuelles pour un salaire qui dépasse rarement les 1400 € nets.

 

 

Fidéliser les salariés.

 Société« X », une des plus grosses entreprises de la région, avec sa vingtaine de véhicules, a choisi, elle, de fidéliser ses salariés. « C’est sûr que le CPE, c’est pas notre truc, explique de façon amusée son patron. Nous, nous payons toutes les heures effectuées, et plutôt au-dessus du minimum » (ca existe ça?) Une nécessité, presque, dans un secteur où la durée moyenne d’exercice ne dépasse pas les six ans (trois ans et demi sur Paris). Et qui manque actuellement de 16 000 professionnels, soit près de 30 % des effectifs actuels. L’activité, soumise à l’économie de marché, est aussi largement tributaire des hôpitaux, « qui n’hésitent pas à marchander, à la baisse, les tarifs auprès des compagnies » L’ambulance quitte le périphérique. la « base » est proche.

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Publié dans VOICI NOTRE METIER

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